Chapitre 21

 

Privée de la bénédiction, Kaderin s’était retrouvée littéralement paralysée par la vision du collier, incapable d’attaquer Bowen ou de s’enfuir. Tout ce qu’elle voulait, c’était se perdre dans la contemplation des pierres précieuses aux facettes scintillantes. Maintenant encore, elle les tapotait doucement, le cœur serré par l’envie de les voir de nouveau briller au soleil.

Les rugissements sifflants et humides des basilics l’aidèrent à se ressaisir. Les monstres se trouvaient à des kilomètres sous terre, très loin de l’issue ensoleillée du labyrinthe, mais ils s’étaient mis en route de leur pas lourd. Heureusement, ils ne se pressaient pas, sans doute persuadés d’avoir affaire à une victime sacrificielle.

Kaderin expira, frissonnante, se força à jeter le collier de côté, se releva et examina la situation. Fâcheuse. Ce salopard de Lycae avait fait du bon boulot en bouchant l’entrée des grottes.

Elle eut beau prendre de l’élan puis se jeter contre les rochers, les pousser de toutes ses forces, ils ne bougèrent pas d’un centimètre. Son épée moins lourde et moins épaisse que celle de Sébastian ne lui serait d’aucun secours. Il allait falloir creuser.

A priori, dix centimètres de progression dans la pierre lui coûteraient ses griffes, lesquelles repousseraient en quelques heures. Le rocher du haut faisait au moins un mètre vingt de diamètre.

Donc, petit calcul…

Je l’ai dans l’os.

Pire, l’obscurité réveillait déjà son angoisse, à la manière d’une lourde malédiction. Un ricanement amer lui échappa. Kaderin la Sans-Cœur, la cruelle tueuse Valkyrie – c’était autant dire son titre officiel – avait peur du noir.

Les spectres la laissaient indifférente, elle trouvait les basilics… mignons, si l’on pouvait dire, et elle se serait laissé jeter sans un tressaillement dans une cage pleine de centaines de goules contagieuses… du moment que la cage en question était éclairée et aérée.

Avec un minimum d’action, elle aurait pu faire abstraction de ses angoisses, mais rester plantée là à se ronger les sangs…

Il lui restait deux possibilités. Attendre le vampire, en espérant qu’il ne tiendrait aucun compte de la dernière fois où elle lui avait rageusement demandé d’aller au diable… Le problème, c’était que, même s’il volait à son secours, il serait incapable de la transporter où elle voulait aller… c’est-à-dire juste de l’autre côté des rochers éboulés. Elle aurait parié sans hésiter que Sébastian n’avait encore jamais visité de grotte argentine.

D’ailleurs, combien de temps pouvait-elle se permettre d’attendre son aide ? Tôt ou tard, les basilics arriveraient à la surface.

La seconde possibilité se résumait à un mot : creuser. Ces quelques cailloux sont tout ce qui me sépare d’un des œufs. Elle se laissa de nouveau tomber à genoux et, cette fois, planta les griffes dans le roc. La première de ses griffes se brisa au bout de cinq centimètres, la deuxième peu après. Ça ne servait à rien, noms des dieux. Des efforts inutiles dans une nuit puante, oppressante. Treize points de perdus.

La poussière minérale lui faisait monter les larmes aux yeux. Oui, la poussière…

— Tiens, tiens, lança derrière elle une voix grondante. Je parie que ce coup-ci, tu es ravie de ma visite.

Sébastian. Elle fit volte-face. Malgré le noir d’encre qui régnait dans la caverne, il la voyait à la perfection, c’était évident, car il l’examinait avec attention.

Lorsqu’il baissa les yeux vers ses griffes, elle s’empressa de les cacher dans son dos, mais elle ne pouvait dissimuler son émotion.

— Tu en es réduite à creuser à mains nues ?

Il la rejoignit pour l’aider à se remettre sur ses pieds.

— Ça fait longtemps que tu es enfermée là-dedans ?

Elle s’épousseta les genoux.

— Deux heures, à vue de nez.

— Que s’est-il passé ?

— Bowen a provoqué un éboulement pendant que j’étais à l’intérieur.

— MacRieve ?

Le nouvel arrivant serra les poings.

— Je vais le tuer !

Elle haussa les épaules.

— C’est une promesse ? Parce que ça éliminerait deux concurrents d’un seul coup.

— Il est encore là ?

Sébastian avait visiblement envie d’en découdre. Kaderin secoua la tête.

— Il a dû prendre son œuf et repartir depuis longtemps. Moi, il m’a mise hors jeu… C’était ce qu’il voulait, après avoir éliminé de la compétition quelques démons et l’ensemble des elfes. Tous ceux qui se sont trouvés confrontés à lui ont disparu.

— De quelle manière ?

— On n’en sait rien. Il semblerait qu’il les ait emprisonnés quelque part.

— Y compris la petite sorcière ? Il n’aurait tout de même pas fait de mal à cette gamine.

— Il a eu Mariketa aussi, mais elle a réussi à lui infliger une malédiction. A priori, il s’affaiblit, et ses blessures ne guérissent pas.

Kaderin donna en direction de Sébastian un petit coup de menton.

— Le suivant sur la liste, c’est toi. Jusqu’à hier, on était en compétition pour la première place, lui et moi…

— Comme prévu.

— … mais aussi toi. Il va essayer de nous éliminer un par un.

— J’ai hâte de l’affronter. Je le tuerai avec joie pour le punir de t’avoir enfermée ici.

Sans répondre, elle haussa de nouveau les épaules. Sébastian resta muet, lui aussi. Il attendait qu’elle lui demande de la sortir de là, bien sûr. Elle se mit à jouer de la pointe de sa botte avec le gravier.

— Demande-moi de te sortir de là, nom de Dieu, lança-t-il enfin.

— Non.

— Tu préfères rester pourrir dans cette caverne ?

— Je progressais.

— Quelle tête de mule ! Tu n’es vraiment pas capable d’admettre que tu es contente de me voir, hein ? Que je pourrais te sauver la mise, là, maintenant, tout de suite ?

— Non.

Elle n’en dit pas davantage, ce qui donna visiblement à son compagnon envie de l’étrangler.

Si elle se fiait à son intuition, Bowen s’était emparé d’un œuf dans le second réseau de cavernes, mais elle avait encore une chance de battre Cindey. À condition de sortir très vite.

— Je vais te laisser progresser, alors, puisque tu y tiens.

Sébastian s’écarta d’elle, prêt à glisser, mais elle le suivit et lui effleura le bras.

— Écoute, je ne veux pas atterrir chez toi, c’est tout. À mon avis, les œufs se trouvent dans un complexe souterrain indépendant, juste de l’autre côté du ravin.

Exaspérée, elle s’approcha des rochers, qu’elle poussa de toutes ses forces.

— Il me suffirait de traverser l’éboulement, mais tu ne peux pas te téléporter derrière, je le sais pertinemment.

— Parce que je n’ai jamais mis les pieds ici, c’est ça ?

Elle fit la moue et souffla sur une boucle qui lui retombait dans les yeux.

— Tu prends souvent tes vacances à Las Quijadas ?

Comme il la fixait d’un regard inexpressif, elle précisa :

— En Argentine.

— Non, je ne peux pas glisser dans la région, mais…

Il examina les blocs de pierre, puis en poussa un jusqu’à l’ébranler. Kaderin laissa échapper une petite exclamation. Il recula.

— Mais on dirait que je peux quand même te sortir de là.

Elle lui effleura le torse d’une main hésitante.

— Qu’est-ce que tu veux pour les déplacer ?

— Qu’est-ce que tu proposes ? riposta-t-il d’une voix grave.

— De l’argent ? Tu m’aideras, si je te paie ?

— Je suis riche. Plus qu’assez pour nous deux.

Cette dernière remarque fit grimacer Kaderin.

— Qu’est-ce que tu veux, alors ?

— Je veux… (Il se passa la main sur le visage.)… te toucher. Pas ici, mais cette nuit…

— Pas question.

Lorsqu’elle croisa les bras, le regard de son compagnon se posa sur son décolleté humide. Comme la nuit où ils s’étaient vus dans la villa en bord de mer, il avait l’air d’envisager de la jeter sur son épaule puis de glisser jusque chez lui, dans son lit.

— Si seulement mes seins arrêtaient de te faire de l’œil…

Il releva la tête d’une secousse et s’éclaircit la gorge, avant de lancer d’une voix rauque :

— Embrasse-moi. Si tu m’embrasses, je déblaie.

— La dernière fois que j’ai fait une chose pareille, tu m’as mordue, et tu es parfaitement capable de recommencer.

Chaque fois qu’elle l’embrassait, c’était l’escalade ; il était allé jusqu’à lui prendre son sang. Voire ses souvenirs.

— Je ne t’ai pas mordue. Je t’ai juste éraflé la peau. Par accident.

— Alors, dis-moi que tu ne penses pas une seule seconde à recommencer.

— Je…

Il expira profondément.

— Je ne peux pas. J’y ai trouvé un plaisir trop intense pour l’oublier.

Cette franchise la choqua, ce qu’elle ne chercha pas à cacher.

— Tu vois ? Je suis prête à parier que ça se reproduirait, si on se retrouvait dans la même situation.

— Je peux te jurer que non.

— Sauf s’il s’agit d’un…

Elle traça des guillemets en l’air.

— … accident, hein ? Je suis parfaitement capable de ressortir en creusant, si long que ce soit, alors je vais éviter de prendre le risque d’un baiser.

Il hocha la tête, résigné.

— Très bien. On n’a qu’à rester assis là en attendant de se fossiliser. Je peux être aussi têtu que toi, tu sais.

— Tu vas attendre en ma compagnie ? Ça ne t’ennuie pas, toi, de ne pas récupérer l’œuf ?

— Je me fiche de gagner la compétition.

— Je savais bien que tu ne t’étais inscrit que pour m’empêcher de te tuer !

— Tu étais déjà dans l’incapacité de me tuer avant que je ne m’inscrive. Ça ne t’étonne pas d’être incapable de me trancher la tête d’un coup d’épée, toi qui as supprimé tellement de vampires ?

— Je ne sais pas à quoi ça tient, reconnut-elle, mais je ne me pose plus la question.

— Pourquoi ne veux-tu pas me laisser mener la Quête à bien en ton nom ? C’est la seule et unique raison pour laquelle je me suis inscrit.

— Tu ne veux donc sauver personne dans le passé ? Aucun proche ?

Elle vit passer une ombre dans les yeux de Sébastian.

Qui avait-il perdu ?

— Ta défunte épouse, peut-être ?

— Je ne crois pas au pouvoir de cette clé, je te l’ai dit.

Il n’avait pas répondu à la question. Avait-il été marié ?

— Pourquoi en es-tu aussi convaincu ?

— Le voyage dans le temps est impossible.

Le ton ne laissait aucune place au doute.

Oui oui… et ta femme ?

— Je parie que tu croyais que les vampires n’existaient pas, jusqu’au moment où tu t’es réveillé avec l’envie de boire une bonne pinte de sang.

— Non, je suis issu d’une culture fondamentalement superstitieuse. Malgré mes études scientifiques, je croyais plus facilement à ce genre de choses que je ne l’aurais pensé. D’autant que ce n’est pas impossible, d’après les lois de la nature.

Bon, et ta femme alors ?

— Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais été marié.

Elle en fut très étonnée – et très étonnée aussi d’en être ravie.

— À ton âge ?

Elle s’assit.

— Tu devais avoir la trentaine quand tu as été transformé.

— Trente et un ans. Mais j’ai passé toute ma vie au front, à partir de mes dix-neuf ans. Où aurais-je trouvé une épouse ?

— Et maintenant, tu te sens prêt ?

— Oui.

Il avait grondé le mot en la regardant bien en face, comme s’il prêtait serment. Elle sentit ses orteils se recroqueviller dans ses bottes.

— Et toi ? demanda-t-il. Vas-tu enfin me dire pourquoi tu tiens tellement à gagner ?

Il détourna les yeux.

— Pour retrouver ton époux ?

Le silence seul lui répondit, aussi la considéra-t-il d’un air interrogateur. Elle secoua la tête à contrecœur.

— Je n’ai jamais été mariée.

Il était hors de question qu’elle lui explique pourquoi – elle n’avait aucune raison de s’étendre sur le sujet, quand bien même elle en aurait eu envie –, mais elle ne voulait pas non plus lui laisser croire qu’elle se donnait autant de mal pour un bien-aimé défunt.

— Les maisonnées et les Furies m’ont fait un grand honneur en me demandant de les représenter lors de la Quête, et je compte bien m’en montrer digne, poursuivit-elle.

Elle haussa les épaules avant d’ajouter, sincère :

— Et puis je veux battre les autres, tout simplement.

— Alors, c’est juste une question de fierté ? d’ego ?

— Ça ne suffit pas, à ton avis ? riposta-t-elle d’un ton volontairement ennuyé.

— Je ne crois pas. Remporter la victoire dans une compétition ne peut suffire à remplir une existence.

— C’est vrai. Il y a aussi des vampires à tuer. Voilà ce qui donne un sens à ma vie.

Pour toute réponse, il lui jeta un coup d’œil impénétrable. Kaderin savait déjà qu’il n’était pas d’accord avec ses choix et ses priorités, mais ce regard lui donna en plus la nette impression qu’il la plaignait. Elle pencha la tête de côté.

— Bon, dis-moi, à quoi ressemblerait notre vie commune, d’après toi ?

— On pourrait voyager. Reconstruire le château. Fonder une famille.

Une famille ? S’ils faisaient des enfants ensemble, peut-être les chers petits ressembleraient-ils à Emmaline, la nièce à moitié vampire de Kaderin… laquelle se morigéna mentalement.

— Je vis à La Nouvelle-Orléans, je participe à la Quête, et je tue des vampires. Tu me demanderais de renoncer à ça ?

Elle ramena les genoux contre sa poitrine.

— En fait, tu aimerais que je me conduise comme les femmes que tu as connues. Ça n’arrivera pas. Jamais.

— Non, je n’aimerais absolument pas que tu te conduises comme les femmes que j’ai connues.

La véhémence de Sébastian la surprit.

— Et on pourrait vivre n’importe où, ça m’est égal, ajouta-t-il. J’irais où tu veux, pourvu que tu y sois heureuse. Tu veux tuer des vampires ? Parfait. La Quête ? Je peux l’accepter… à condition d’y participer avec toi.

— Oh, tu peux l’accepter ?

C’est une plaisanterie, j’espère ?

— Tu sais quoi ? Mieux je te connais, plus je m’aperçois que si tu m’es indifférent, ce n’est pas seulement à cause de ta nature de vampire.

 

Je peux l’accepter. Sitôt la phrase lâchée, avant même de voir étinceler les yeux de Kaderin, il avait compris que ce n’était peut-être pas la meilleure manière de s’adresser à une fille des dieux. Que n’aurait-il donné pour un dixième du charme de n’importe lequel de ses frères…

— Alors, explique-moi les raisons de ton indifférence, proposa-t-il.

— Quand on discute, j’ai l’impression de parler à un humain.

— J’aimerais en être resté un, riposta-t-il.

— Peut-être, mais tel n’est pas le cas. Tu es un ennemi, pour moi et mes semblables.

— Ni par mes choix ni par mes actes, je te l’ai déjà dit.

— Ça me dégoûte que tu te nourrisses de sang. Tu mènes une existence de parasite.

Ça le dégoûtait aussi, depuis toujours. La seule fois où il en avait été autrement, c’était quand il avait bu à son cou cette goutte brûlante, capiteuse.

Il se retrouva pourtant acculé à défendre l’indéfendable.

— J’achète du sang en boucherie… de même que les humains y achètent de la viande. Je ne vois pas trop la différence. Quand on y pense, n’importe quel être vivant est un parasite.

— Pas moi.

— Tu ne manges pas ? Tu ne bois pas ?

— Non et non. Je n’ingère absolument rien.

— Ce n’est pas possible !

Sébastian n’y croyait pas, quoique le kobold lui ait dit la même chose, dans les montagnes transantarctiques.

— J’ai été conçue comme ça.

Le ton de Kaderin signifiait clairement qu’elle n’avait pas l’intention d’épiloguer.

Nom de Dieu. Il allait devoir interroger Nikolaï donc retourner au manoir de la Colline noire.

— Conçue ? Tu veux dire que tu as été faite comme ça exprès ?

— Tu ne trouves pas que j’ai l’air d’avoir été faite exprès telle que je suis ? interrogea-t-elle, menaçante. Quand tu me regardes, tu vois un accident de la nature ?

Et zut ! Il l’avait vexée, une fois de plus.

— Mais non. Pas du tout. C’est juste que…

— Nos espèces vont entrer en guerre, tu sais ? Une guerre telle que tu n’en as jamais imaginé…

— Oui, oui, l’Ascension, acquiesça-t-il, indifférent.

— Ce n’est pas une chose à prendre à la légère.

— Mon frère m’a prévenu qu’à tes yeux, il s’agirait d’un obstacle entre nous, mais il m’a juré que les Abstinents feraient front commun avec les Valkyries.

Comme Kaderin ouvrait la bouche pour protester, Sébastian s’empressa s’ajouter :

— Qu’elles le veuillent ou non.

Elle pinça les lèvres.

— Tu es têtu. Je te conseille d’employer toute cette belle volonté à te débarrasser de ton obsession pour une frêle fiancée mal fichue.

— Je n’ai pas l’intention de gaspiller mon temps et mon énergie à essayer de t’oublier, alors que je peux les mobiliser pour te conquérir.

— Mais tu n’arriveras pas à me conquérir, alors qu’il t’est peut-être possible de m’oublier.

— Je suis obligé de chercher à te faire mienne. (Il était tout simplement incapable d’envisager un autre avenir.) Je te veux. Dans ma vie.

Elle posa le bout du doigt sur son menton.

— Quand tu dis « dans ma vie », tu veux clairement dire « dans mon lit ».

— Je ne nie pas que ça m’intéresse aussi.

Il avait eu un aperçu de son ardeur… Il ne connaîtrait pas le repos avant de l’avoir tenue dans ses bras.

— Je passe mon temps à m’imaginer en train de le faire l’amour, avoua-t-il.

Le rouge monta aux joues de Kaderin, qui se mordilla la lèvre. Une habitude qu’il trouvait charmante.

— Mais tu ne m’aimes pas plus que je ne t’aime.

— Non, en effet, admit-il.

Elle le fascinait, elle l’exaspérait, et depuis que le sang circulait de nouveau dans ses veines, il ne s’écoulait pas une heure sans qu’il ait envie de la voir. Mais ce n’était pas de l’amour, il s’en rendait parfaitement compte.

Elle leva les yeux au ciel.

— Tu veux un conseil ? Quand tu fais la cour à une femme, réfléchis une seconde avant de lui déclarer de but en blanc que tu ne l’aimes pas. Fais au moins semblant de réfléchir à la question. Ou mens-lui carrément. Ou dore-lui la pilule en affirmant que ça viendra plus tard.

— Je ne veux pas te mentir. Quant à l’amour… des tas de gens ont bâti leur union sur des bases nettement moins solides que les nôtres. Nous, nous avons la passion. L’attirance. Le respect.

— Tu te flattes, grinça-t-elle en examinant ses griffes cassées.

— Et je peux te promettre une chose : les mille prochaines années de ta vie ne ressembleront en rien aux mille dernières. Pas tant que je vivrai.

Elle releva brusquement les yeux.

— Ce qui veut dire ?

Son ton était mesuré.

— Je suis au courant, pour ta… bénédiction. Tu n’as pas éprouvé d’émotions pendant un millénaire.

Elle blêmit.

— Et tu sais pourquoi ? demanda-t-elle.

Sa voix avait-elle tremblé ?

— Non. Ni pourquoi ni par quel miracle. Je sais juste qu’un matin, quand tu t’es réveillée, il n’y avait plus… plus rien.

Le regard de Kaderin se durcit.

— Je t’interdis d’en parler de cette manière ! Comme s’il me manquait quelque chose.

— Quand on est incapable d’émotions, il vous manque bel et bien quelque chose.

— Tu t’imagines que les émotions sont nécessaires ? Que j’ai envie d’en avoir ?

— Non, je…

— C’est mon sang qui t’a appris tout ça, hein ? (Il acquiesça.) Tu m’as volé mon sang, ce qui t’a donné mes souvenirs. Génial. Qu’est-ce que tu as vu au juste ?

— Des batailles, des traques, des extraits de conversation, au hasard.

— Riora en train de te parler de l’épée d’un mystique aveugle, par exemple.

Il l’avait vue attaquée par des dizaines de kobolds, qu’elle avait battus de justesse. Mais quand elle avait baissé les yeux, elle s’était aperçue que sa jambe avait disparu, du milieu du mollet jusqu’au pied. Pas étonnant qu’elle s’en soit prise au petit fouisseur, en Antarctique. Dire que je venais de le transporter jusqu’au talisman…

— Tu comprends, maintenant, pourquoi j’étais furieuse ? Tu connais certains de mes secrets, de mes pensées et de mes actes. Tu m’as vue en compagnie d’autres hommes ?

— Non. D’après mon frère, ça n’arrivera pas, du fait que tu es ma fiancée.

— Tu sais pourquoi j’ai retrouvé mes émotions ?

Il se passa la main dans les cheveux.

— Je crois que ça a quelque chose à voir avec moi. C’est d’ailleurs ce que tu as dit la première fois qu’on s’est vus.

— J’ai parlé sans réfléchir.

L’expression de Sébastian la poussa à ajouter :

— Simple coïncidence.

— Je croirais peut-être qu’il s’agit d’une simple coïncidence si tu n’étais pas ma fiancée.

— Alors, d’après toi, je t’ai ranimé physiquement tandis que tu me ranimais émotionnellement ? demanda-t-elle, moqueuse.

— Exactement.

— Même si c’était vrai, on n’aurait pas pour autant un avenir commun. Je ne suis pas celle dont tu as besoin. Je ne ferais que te rendre malheureux. Ça, je peux te le promettre. En plus, si jamais on se mettait ensemble, ma famille piquerait une crise et me ficherait dehors.

— Myst la Convoitée n’a pas l’air de s’en trouver plus mal.

 

Kaderin pencha la tête de côté puis se figea totalement.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Je dis que Myst, la femme de mon frère…

Elle bondit sur ses pieds.

— Myst est peut-être une gourgandine, mais elle n’irait quand même pas épouser une sangsue !

— Tu n’étais pas au courant ?

Il fronça les sourcils.

— Ils sont mariés depuis un petit moment.

Kaderin allait botter de toutes ses forces le derrière lumineux de Regina.

Myst, mariée à un vampire ! Elle se pressa le bout des doigts contre le front.

— Ton frère… c’est le général abstinent qui l’a libérée de la prison où l’avait jetée la Horde ? Wroth. Nikolaï Wroth.

Bons dieux ! Je savais bien qu’elle pensait encore à lui !

— Oui. Tu le connais ?

— J’en ai entendu parler.

D’ailleurs, maintenant que les choses s’éclaircissaient, elle s’apercevait qu’elle avait aussi entendu parler de Sébastian. Les quatre frères estoniens. Des seigneurs de guerre si terribles, si impitoyables en tant qu’humains qu’ils avaient attiré l’attention des immortels.

Terribles et impitoyables dans la défense de leur peuple.

Il la regardait avec attention.

— Je me demande si ces nouvelles servent ou desservent ma cause.

— Je… je ne sais pas.

Elle ne savait plus rien. Les Abstinents étaient donc autorisés comme amants ? Non, Dasha et Rika n’auraient jamais accepté qu’elle entretienne une relation avec un vampire.

— Dis-moi juste une chose, Kaderin. T’arrive-t-il de penser à moi en mon absence ?

Mens-lui. Pouvait-elle avoir une liaison ? La plus discrète possible. Juste une histoire d’un soir, pour jouir une nuit de ce corps puissant, si réactif.

Bon sang ! Myst avait épousé un vampire. Et Myst était une païenne, comme Kaderin. Laquelle doutait sérieusement que le général abstinent Nikolaï Wroth ait accepté de se marier à la manière païenne.

Les liens du mariage étaient chose sérieuse pour les Valkyries et, d’ailleurs, pour tous les immortels. Jusqu’à ce que la mort nous sépare… Cette petite phrase prenait un sens tout nouveau quand elle concernait deux personnes capables de vivre à jamais.

Non, Kaderin ne pouvait se permettre une liaison. Pas alors qu’elle était la fiancée de Sébastian. Il ne se contenterait pas de ça, c’était une certitude.

— Penser à toi ? Je suis quelqu’un de très occupé, figure-toi. L’introspection, ça prend du temps. Je préfère te laisser ce genre de choses.

— C’est-à-dire ?

— Ma foi, apparemment, tu n’as rien fait d’autre que penser pendant trois cents ans.

Cette réplique le mit en colère, comme prévu.

— Tu ne sais pas…

Un rugissement s’éleva sur leur gauche, secouant la caverne tout entière. Un autre lui répondit presque aussitôt sur leur droite. Plus loin, un troisième leur fit écho.

Les basilics approchaient. Ils allaient se réunir.

À l’entrée des grottes.

La Valkyrie Sans Coeur
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